Un nom pour dire non, l’appel d’ATD Quart Monde

Un nom pour dire non !  Il s’agit de pouvoir nommer les actes de discrimination contre ceux qui vivent dans l’extrême pauvreté.

Un nom pour dire non

Une vidéo parlante

La petite vidéo d’ATD Quart Monde présentée dans le billet d’hier montre clairement que l’on pense rapidement à un nom pour ceux et celles qui refusent les homosexuels, ou les noirs,… mais aucun nom ne vient pour ceux qui refusent les pauvres.

C’est terrible ! Celui qui est déjà invisible à la majorité de nos sociétés, ne peut même pas nommer celui qui le rejette. Celui qui l’exclu n’existe pas, c’est bien la preuve que lui-même n’existe pas !

Trouver un nom, pour nommer ceux et celles qui discriminent les personnes en précarité sociale, est donc intéressant. L’idée est que l’on ne peut pas lutter contre quelque chose qui n’est pas nommé.

Cependant la démarche peut poser question, car elle peut  comporter des pièges.

Les pièges d’un mot pour dire non

Le terme « racisme » par exemple est sans doute clair à la majorité des français. Mais il a l’inconvénient de s’appuyer sur le mot race. Or, en parallèle, on refuse cette notion. Il n’y a pas de race biologique, il y a juste l’espèce humaine. En dénonçant un acte pour racisme, on réactualise la notion  de race.

En même temps, on voit des extensions de la notion de racisme, là où elle est encore moins justifiée. C’est le cas lorsqu’on parle de « racisme anti-jeune » pour traiter de certains refus à l’embauche par exemple.

Prenons aussi le terme « antisémitisme« . En fait on parle ici du rejet des personnes d’origine juive. Il y a déjà l’ambiguïté de savoir si on considère  leur origine (et à quel degré) ou leur religion. Mais surtout, les juifs ne sont pas les seuls sémites. Les arabes le sont aussi.

Phobie ou non phobie ?

Une phobie, ce n’est qu’une peur, et non la haine, le rejet, l’exclusion.
Certes cela va souvent de pair, la peur apportant la haine. Mais cela reste différent.

Pour le rejet, le mépris,… on peut penser au préfixe « mis »,
comme dans misogynie, misandrie, misanthropie,…
Mais ce ne sont pas des mots faciles.

Il y a aussi le préfixe « anti » comme dans anti-judaïsme.
On lit d’ailleurs parfois une expression comme « anti-pauvres ».

Le piège de la confusion acte-personne

Pierre crache à la figure d’une femme amérindienne. C’est un acte raciste et misogyne. Mais si je dis que Pierre, lui-même, est raciste et misogyne, je l’enferme, en tant que personne, dans son acte. Je lui dénie la possibilité d’évoluer, de ne plus poser de tels gestes.

C’est d’autant plus important qu’on ne détruira pas l’exclusion sociale sans une prise de conscience, et un changement de mentalités, de ceux qui, consciemment ou non, contribuent à cette exclusion.

Comment l’appeler à combattre à nos côtés si on commence par le désigner avec un nom négatif  ?

Le piège du renversement possible

L’islamophobie sert à nommer ceux qui posent des actes anti-musulmans. Mais on n’a pas choisi musulmanophobie par exemple. Le terme parle d’Islam. Or dans un pays laïc comme le notre, il y a la liberté d’expression vis à vis des religions. On a le droit de critiquer une religion, ce qui est différent de s’attaquer à ceux qui la professent.
On peut aussi dénoncer des actes que certains posent en se revendiquant d’une religion.

On en vient alors à des situations où on dénonce des actes fondamentalistes et où on se fait accuser d’islamophobie. C’est pour cela par exemple que la philosophe Elisabeth Badinter, voulant défendre la laïcité, déclara : « Il ne faut pas avoir peur de se faire traiter d’islamophobe« . Les réactions ont été très fortes !

Citons également la situation de quelqu’un qui veut lutter contre la politique de colonisation actuelle en Israël. Il se fera accusé d’anti-sémite, même s’il n’a rien contre le peuple juif en tant que tel, et veut juste dénoncer la politique d’un gouvernement. Il sera sans doute antisioniste, mais pas  antisémite.

Nommer est pourtant parfois nécessaire et utile

L’histoire des noms est un combat. Quand les esclaves noirs américains réutilisent le terme « negro » pour nommer leurs chants (negro spiritual) c’est un nom libérateur.
Quand les Black Panters clament « black is beautiful » c’est une démarche semblable.

Quand Joseph Wresinski forge le nom « Quart Monde » à partir du « quart état » de la révolution française de 1789, et du « tiers monde » de la fin du 20ième siècle, c’est là encore un mot libérateur. Les familles vivant dans l’extrême pauvreté s’en sont emparé car cela montrait qu’elles n’étaient pas seules à vivre cette situation. Et c’est devenu un mot positif.

Dénoncer des actes, donc les nommer

On ne peut accepter les actes « racistes, « homophobes », « anti-juifs », anti-musulmans »,…
Il y a des lois pour dénoncer de telles discriminations.
Il est juste qu’il y ait une loi contre la discrimination des personnes et familles en situation d’extrême pauvreté, pour qu’elles puissent se défendre.

Dans l’immédiat je n’ai pas trouvé le nom pour dire non qui serait sans ambiguïté. Un mot juste, clair, sans piège,… cela ne se trouve pas en 5 minutes…

Conclusion provisoire

En attendant de trouver cet éventuel nom pour dire non, il vaut mieux sans doute continuer à parler de discrimination pour cause de pauvreté.

Qu’en pensez-vous ?

Michel Lansard

Note

Appel d’ATD Quart Monde « un nom pour dire non »
–> https://www.atd-quartmonde.fr/discrimination-pour-precarite-sociale-unnompourdirenon/

2 réflexions au sujet de « Un nom pour dire non à la discrimination des plus pauvres »

  1. Merci Yves pour cette contribution.

    Tu as raison pour l’aspect libérateur du nom cherché.
    En fait, pauvre ou non-pauvre, chacun doit se libérer d’une certaine peur de l’autre, peur basée sur l’ignorance, l’incompréhension… C’est ce que je trouve intéressant dans les actions dites « croisement du savoir » qu’a inventé un mouvement comme ATD Quart Monde.

    Classisme a l’intérêt d’être simple, et de ne pas introduire d’emblée une dimension négative, contrairement aux termes de type « anti… ».

    Ceci dit, cela me semble plus délicat en France qu’en Grande-Bretagne.

    Dans les propositions que j’ai repéré de ci de là, plusieurs disent que le mot qui est cherché existe déjà avec « lutte des classes », « racisme de classe », « socioclassiste »…

    L’inconvénient de ce qui relie au terme de « classe » est qu’on a une longue histoire politique avec le mot.
    Le mouvement ouvrier, suivant en cela la vulgate marxiste, s’est bâti contre le lumpenprolétariat jugé « ennemi de classe ». Aujourd’hui ce type de réaction a beaucoup diminué, mais persiste encore.

    Hasard du calendrier, l’hebdomadaire français « Marianne » sort son 1000ième numéro aujourd’hui. En gros titre de couverture « le retour du mépris de classe ».

    Mépris convient bien pour présenter ce que vivent au quotidien les familles vivant l’extrême pauvreté. Si je garde ton idée, le « mépris de classe » pourrait donc parler du rejet du Quart Monde. Marianne parlerait-elle du Quart Monde ?

    Las ! Le dessin accompagnateur (un ouvrier maigrichon et en larmes, face à un énorme patron fumant son cigare) montre que ce n’est pas ce que la revue met derrière le titre. On y parle de la stigmatisation des classes populaires par les élites politiques.

    Sur ce plan l’article est très intéressant et mérite réflexion. Mais on reste avec la notion de classe du 19ième siècle. Les familles et personnes concernées par l’appel d’ATD n’existent pas dans cette problématique.

    Notons cependant que l’article se termine en parlant de la proposition de loi inspirée par ATD Quart Monde, pour ajouter un 21ième critère de discrimination à la Loi française : le « racisme anti-pauvre ». Ce texte a été voté récemment au sénat, en juin. Il passe à l’Assemblée Nationale la semaine prochaine. Je vais essayé d’en parler dans un prochain article…

    T usa raison, c’est sans aucun doute pour trouver mieux que ce terme de « racisme anti-pauvre » qu’ATD a lancé son appel…

    Michel Lansard

  2. Michel,

    Ma première réaction est de dire que l’on a pas forcement besoin de mot pour tout. Par exemple, il n’y a pas de mot pour qualifier les gens qui pratiquent la discrimination envers les personnes en situation de handicap, enfin je ne crois pas.

    Il faut remettre cette campagne dans le contexte de la proposition de loi qui a déjà été votée au sénat et sera bientôt présentée à l’assemblée nationale.

    Il s’agit aussi peut-être un peu de simplifier le message d’ATD Quart Monde (surement trop compliqué par moment) pour mieux mobiliser et fédérer.

    Sinon, j’ai entendu parler du terme anglais « classism » qui permet justement de qualifier cette pratique discriminatoire envers les pauvres. Et j’ai aussi vu qu’il existait déjà en français, avec le mot « classiste » pour désigner celui qui pratique le classisme. Je trouve que ce mot à l’avantage d’être assez simple et neutre. Il me plait bien.

    En te lisant, je me disais qu’il serait bien qu’il soit un mot « libérateur » et donc que ce soit surtout les personnes qui ont développé cette « peur des pauvres » qui l’utilisent pour s’en libérer. Du coup je veux bien m’y coller car, moi le premier, j’avoue avoir développé des réflexes et des peurs qui m’empêchent d’aller plus vers ces personnes en grande précarité qui luttent au quotidien et qui souffrent beaucoup de n’être pas considérées et entendues. J’ose dire « Je suis classiste mais je me soigne ». Qui d’autre est prêt à me rejoindre?

    Pour finir, le plus important est d’apporter notre soutien à la campagne actuelle, par exemple en signant la pétition « JENEVEUXPLUS » :
    https://www.change.org/p/je-ne-veux-plus-p%C3%A9tition-pour-la-reconnaissance-de-la-discrimination-pour-raison-de-pr%C3%A9carit%C3%A9-sociale

    Yves.

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