Antisémitisme, antijudaïsme , judéophobie

D’où vient l’antisémitisme ? Le père Christian Delorme, dont je vous ai déjà parlé, donne ce mois-ci à Lyon une série de conférences sur le vivre ensemble. Il analyse, entre autre, les pièges qui nous guettent… comme l’antisémitisme, dont j’ai choisi de vous parler aujourd’hui, avec son autorisation…

Antisémitisme et étoile jaune

Histoire d’un mot

Lorsqu’on veut parler du rejet des juifs, on parle d’antisémitisme. C’est un mot récent (fin du 19ième siècle). Avant on parlait de l’antijudaïsme. On trouve aussi aujourd’hui le terme de judéophobie…

L’expression d’antisémite est en réalité inadaptée. Certes les juifs sont des sémites, mais ils ne sont pas les seuls. Les arabes le sont également. De plus il n’y a pas vraiment de peuple sémite, c’est davantage une question de langue. Certains peuples utilisent une langue de type sémite : hébreux, arabes, éthiopiens, araméens…. Le terme vient de la bible, pour parler des descendants de Sem, fils de Noé.

C’est un journaliste allemand  qui a fait le choix de ce terme, en 1879. Il s’agissait d’accuser les juifs de faire atteinte au rassemblement des populations allemandes. Il utilise donc comme un classement pseudo racial, en ignorant les arabes.

Un rejet avant le christianisme

On pense souvent que l’antijudaïsme vient des chrétiens, face aux « assassins de Dieu ».
En fait le rejet des juifs est plus ancien.

Ainsi au second siècle avant notre ère, un roi de Perse décide l’extermination des juifs de Jérusalem, qui sont « des hommes impies détestés par les dieux« .
On les accuse de ne pas rompre le pain avec les autres peuples (règles de la kashrout), d’être intolérants vis à vis des autres croyants (refus du polythéisme).

On citera également le pogrom d’Alexandrie en l’an 38 de notre ère….

Débuts de l’antijudaïsme chrétien

Au début du christianisme, la première communauté de Jérusalem, est juive. Elle continue des pratiques juives jusqu’à la destruction du temple en l’an 70. Mais on trouve déjà dans des textes de Saint Paul et Saint Jean, des passages qui nourrissent l’antijudaïsme. En réalité, ce sont plutôt les chefs des juifs qui sont accusés.

Puis Saint Paul exprimera l’idée que l’Église se substitut au peuple de l’Élection. Avec le christianisme, ce qui est premier n’est plus la Loi, mais l’Amour, plus la lettre mais l’esprit, plus le matériel mais l’âme…

La perte du temple et l’expulsion des élites juives de Palestine, marquent l’échec face au christianisme. Le judaïsme se reconstruit alors  avec sa forme rabbinique, tandis que le christianisme devient religion de l’empire.

Les juifs restent cependant jugés comme dangereux. St Jean Chrysostome les traite d’empoisonneurs lors d’un sermon. Saint Ambroise de Milan affirmait que tous ceux qui nous empoisonnent la vie sont des juifs, même s’ils ne sont pas juifs.
Ainsi les hérétiques chrétiens sont-ils considérés comme « juifs ».

Pour autant la séparation judaïsme-christianisme a pris du temps. Ce n’est qu’au premier concile de Nicée, en 325, que l’on sépare la Pâque juive et la Pâques chrétienne. En 381 au premier concile de Constantinople, on interdit aux chrétiens d’aller dans les synagogues.

Du peuple déicide à l’étoile jaune et aux ghettos

C’est surtout à partir du quatrième siècle que l’expression « peuple déicide » est vraiment utilisée.

La discrimination des juifs est rendue visible. L’empereur  byzantin leur impose des vêtements particuliers en 716. En terre d’islam, le calife Omar va faire de même dans la foulée. Les chrétiens doivent porter du bleu, les zoroastriens du rouge et les juifs du jaune.

En 1215 le concile de Latran impose aux juifs une rouelle jaune (une pièce ronde en tissus évoquant les 30 deniers de Judas).
En 1342 par exemple, les franciscains de Jérusalem (responsables des lieux saints) utilisent des discours anti-déicides pour mieux catéchiser les pèlerins.

Puis il y eu les ghettos se multiplient, comme  Venise en 1516, Genève en 1528,…
Bonaparte abolit les ghettos et les signes distinctifs en 1797.

L’antijudaïsme racial

Il apparait en Espagne au 14ième siècle. De grands malheurs tombaient sur les populations : famine, peste, guerres,… Et on nomma les juifs comme responsables de tout cela !

On avait bien cherché à les convertir. Mais le doute persistait. Étaient-ils bien devenus chrétiens ? Ils restaient alors juifs par leur race, et plus seulement par leur croyance. En 1478, le grand inquisiteur général développait des discours effroyables sur les juifs et les juifs convertis, qui « étaient partout !« .

Le piège des prêts d’argent

Par souci de charité fraternelle, les juifs n’avaient pas le droit de pratiquer entre eux le prêt avec intérêt. Mais ils pouvaient le faire avec des non juifs, car la fertilité des biens est saine pour l’économie. Par ailleurs, jusqu’en l’an 1000, c’était interdit aux chrétiens,  à qui les aspects financiers posaient problème.

Les juifs étaient d’excellents marchands. La lecture de la Bible (interdite aux chrétiens du peuple) en fait des lettrés. Ils deviennent donc les banquiers de l’Europe. Ils inventent le chèque, le billet à ordre, la lettre de change…

Mais l’Église se voit comme le dépositaire des richesses et les juifs sont alors concurrents.
il faut les diaboliser, même si en l’an 1000 on autorise les prêts avec intérêt (avec le purgatoire comme séance de rattrapage).

Le nomadisme de beaucoup de juifs les rend également suspects, même si cela contribue à la circulation des idées et des biens.

Enfin, parfois, exterminer les juifs dans une région, permet de se libérer de ses dettes à moindre frais…

Le nouvel antisémitisme au 20ième siècle

L’encyclique Nostra Aetate a changé la donne théologique, tandis que d’autres raisons sont venues pour rejeter les juifs.
Mais j’en parlerai sans doute une autre fois, ce billet étant déjà assez fourni… 😉

Michel Lansard

Notes complémentaires

À propos de Christian Delorme
–> http://jautre.com/?s=delorme
–> https://fr.wikipedia.org/wiki/Christian_Delorme
–> https://www.facebook.com/Père-Christian-Delorme-212324742171239/

Nostra Aetate
–> http://www.vatican.va/archive/hist_councils/ii_vatican_council/documents/vat-ii_decl_19651028_nostra-aetate_fr.html

Les langues sémitiques
–> https://fr.wikipedia.org/wiki/Langues_sémitiques

Religions et vêtements discriminants
–> https://fr.wikipedia.org/wiki/Chapeau_juif
–> http://www.alainamiel.com/signedistinctifs/signesdistb.html

Les marranes (juifs convertis et continuant à pratiquer le judaïsme en secret).
–>
https://fr.wikipedia.org/wiki/Marranisme

Autre billet inspiré par Christian Delorme, sur la négrophobie
–> http://jautre.com/negrophobie

Une réflexion au sujet de « Antisémitisme, antijudaïsme, judéophobie »

  1. On oublie trop souvent l’antijudaïsme des grecs, ce sont eux qui profanent le Temple, ils laissent un très mauvais souvenir que l’on retrouve dans les livres de Macchabées (Abomination de la désolation).

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