Éléments d’histoire de la laïcité

L’histoire de la laïcité ne commence pas en 1905. En fait ce n’est qu’un épisode au sein de la relation, parfois très tendue,  entre les pouvoirs politiques et religieux. Des dizaines de livres d’histoire relatent cela, je me contente donc de rappeler quelques faits importants, parmi d’autres, sans les détailler.

Le gallicanisme

Cela commence du temps des rois de France et plus particulièrement des conflits entre le roi Philippe le Bel et le pape Boniface VIII. Il faut  dire que le pape écrivait en 1302 dans une bulle : « Il est de nécessité de salut de croire que toute créature humaine est soumise au pontife romain : nous le déclarons, l’énonçons et le définissons« . De quoi faire réagir le royal souverain qui tente, derechef, d’enlever le pape. On voit l’ambiance 😉

Les politiques royales successives forment ce que l’on a nommée le « gallicanisme ». Il s’agit de contrer le pouvoir du Vatican par 3 points forts :
• l’État français a le droit d’intervenir dans les affaires religieuses,
• Il a le devoir de défendre le catholicisme, reconnu religion d’État,
• l’église de France est autonome vis à vis de Rome.(1)

Les guerres inter-chrétiennes

Avec l’arrivée du protestantisme des sujets affirment vouloir une autre religion que celle du souverain catholique. Entre 1562 et 1598, la France a alors connu 8 périodes de conflits inter-religieux, avec forces batailles, excommunications, abjuration (Henri IV) et autres massacres (Saint-Barthélemy).

Déclaration des droits de l’homme

1789. Les horreurs de la guerre  religieuse influencent la révolution. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen déclare que « nul de doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi« . On peut donc être citoyen français non catholique et même se marier uniquement civilement sans passer devant monsieur le curé.

Napoléon et son concordat

L’empereur signe un Concordat avec le pape Pie VII. En 1801 ce dernier dépose l’ensemble de l’épiscopat français pour nommer d’autres évêques. C’est la reconnaissance, implicite, de la primauté de juridiction du pape.

Certains évêques et prêtres réfractaires, d’esprit gallican, refusent de se soumettre et fondent la Petite Église. (2)
Le catholicisme n’est plus religion d’État, mais seulement la religion  de la majorité des français.

L’école

En 1886 Jules Ferry proclame l’école publique, gratuite, laïque et obligatoire.(3)

1905 : loi de séparation de l’Église et de l’État

Deux tendances s’affrontent tout le long des débats pour la loi de séparation.

Les socialistes blanquistes ( plutôt anti-religieux) et le radical Emile Combes (plutôt gallicans) voient la laïcité comme une protection des consciences face au fanatisme religieux. Un député veut même interdire la soutane sur la voie publique.
Cette tendance a clairement perdu (494 voix contre 68).

Portée par Ferdinand Buisson et Aristide Briand, soutenue par Jean-Jaurès, la loi finale garantit la liberté de conscience, le droit de  croire ou de ne pas croire en un dieu. Elle est comprise comme telle par les 2 églises protestants, les juifs, les musulmans et une partie des responsables catholiques français. Pourtant le Pape la refuse, restant dans la dynamique des « 2 France ». C’est alors le conflit jusqu’à l’accord de 1924.

À noter que cette loi porte sur la « séparation », et ne présente en aucun moment le mot « laïcité ». On n’y affirme pas non plus de neutralité de l’État.C’est la jurisprudence qui amena plus tard cette notion, et l’obligation de neutralité aux agents de l’État (et à eux seuls).

Il est important de se rappeler qu’à ce moment là, l’Alsace-Moselle est allemande, et donc que cette loi ne s’y applique pas. En simplifiant, on dira que cette région française a changé plusieurs fois de mains et que les circonstances ont fait que le concordat s’y applique encore contrairement à la loi de 1905.(4)

Un autre particularisme frappe alors les musulmans. On lit souvent que l’Islam n’était pas présent en France en 1905, pour justifier la situation d’aujourd’hui. C’est faux ! C’était même la seconde religion du pays. Ce ne l’était pas seulement en tenant compte de l’Empire Français. En effet, l’Algérie avait un statut de département, avec comme doctrine officielle, celle de la continuité territoriale. Or on a vu là les musulmans y réclamer l’application de la laïcité, et le gouvernement parisien leur refuser ! L’histoire est parfois ironique…

Guerre de 14-18

La guerre a mis dans les tranchées les catholiques, protestants, juifs, musulmans, athées, agnostiques… Cela a contribué à l’acceptation de la laïcité par le clergé français, puis par le Vatican en 1924.

Le seconde guerre mondiale joua aussi un rôle positif sur ce plan, en rapprochant « celui qui croyait au ciel et celui qui n’y croyait pas« , comme le conta Aragon.

Le conflit scolaire

En 1959, la loi Debré accorde des aides financières fortes aux établissements privés. Pour son auteur, cela respecte la laïcité car ces établissements ont l’obligation de prendre tous les élèves, de suivre le programme national, et de respecter la liberté de conscience.

Pour les laïques de gauche, plus anti-religieux ou gallicans, c’est contraire à l’article 2 de la loi, interdisant le financement des religions. De retour au pouvoir en 1981 la gauche ne parvient pas à modifier cette situation face à une très forte mobilisation catholique.

Indépendamment de la situation  scolaire proprement dite, on note que c’est à ce moment là que l’idée de laïcité, alors plus à gauche, est progressivement revendiquée par la droite. Puis elle arrivera même au niveau du Front  National qui la met en avant aujourd’hui, après l’avoir honnie pendant longtemps.

2004 : interdiction du port de signes religieux à l’école

Elle s’applique en fait au port de signes religieux ostentatoires dans les collèges et lycées publics. Ce type d’interdiction  se réfère à la laïcité. Il s’agit de protéger les élèves de diverses influences religieuses… Notons cependant que cela arrive avec des histoires de foulards, et illustre une laïcité plus identitaire, disant vouloir protéger le pays contre une invasion.

2010 : interdiction du voile intégral dans la rue

Je cite cette interdiction car elle est souvent reliée à la laïcité.
Mais ce n’est pas vraiment le cas en réalité.
Il s’agit officiellement d’interdire la dissimulation de son visage dans l’espace public. Que ce soit par un voile de type burka ou niqab, ou par une cagoule ou autre procédé.
Il est vrai que cela a été pensé avec une arrière-pensée pour la burka… et vécu une nouvelle fois par certains comme  une dynamique de défense identitaire.

Conclusion provisoire

Bien sur l’histoire de la laïcité est plus complexe que ce modeste résumé. Mais ces quelques points me semblent particulièrement significatifs.

Il n’est pas interdit d’en ajouter d’autres, ou  de compléter/contester la présentation que j’en fais, en utilisant la zone de commentaires ci-dessous 😉

Michel

Notes
  1. Il y a aujourd’hui un certain gallicanisme dans la volonté de l’État d’obliger l’Islam de France à s’organiser et de ne plus dépendre des pays de migration.
  2. La petite église existe toujours actuellement, en particulier à Lyon et en Vendée.
  3. Aujourd’hui l’école n’est plus obligatoire et n’est pas seulement  publique. Mais elle est toujours gratuite et laïque.
  4. L’Alsace-Moselle a de très nombreux particularismes, et pas uniquement sur le plan religieux, mais contrairement à ce que l’on entend souvent, cela n’est pas toujours lié au concordat.

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