Un livre à dévorer…
La plus grosse partie de ce livre est constitué du texte d’une pièce de théâtre. Dis comme cela j’avoue que ce n’est pas ma tasse de thé. Cela me rappelle mes années de lycées et les textes de Racine ou autre Molière qu’il fallait décortiquer en fonction du prof qui en parlait. Bref ! Pas terrible.
Le titre « Dire non à l’exclusion » me parle beaucoup plus. Le titre de la pièce « Un peuple les yeux ouverts » le renforce. Et parler des racines révolutionnaires du combat du Père Joseph termine de me convaincre.
Et vous savez quoi ? Ce livre est super !
Bon d’accord vous vous en doutiez, certains que je ne vous en parlerai pas s’il ne valait pas le coup !
Voyez maintenant pourquoi je vous invite à en profiter…
« La misère n’est pas une survivance d’une société passée, moins développée, qui disparaitrait d’elle-même avec la croissance économique… ». Voici une partie de l’extrait du discours du Père Joseph à la Mutualité en 1977. Extrait qui est affiché dès le début de ce livre. Et qui montre bien, sans le dire, que la vision historique de la misère est essentielle à sa destruction.
Cela tombe bien ce livre nous plonge dans l’histoire, je dirai même une part inconnue de notre histoire nationale.
3 préfaces
Il y a parfois des préfaces qui n’apportent rien. Ce n’est pas le cas ici. Prenez le temps de les réfléchir toutes les 3…
Personnellement j’aime beaucoup la réflexion de Pierre Serna, historien.
Être pauvre est-ce la bonne expression pour désigner ceux qui n’ont rien… Pourquoi ne dit-on pas avoir la pauvreté, comme quelque chose que l’on pourrait ne plus avoir, dont on pourrait se défaire . Non, on dit être pauvre, comme pour définir strictement, et surtout essentialiser le démuni, faire d’un enfant, d’une femme, d’un homme, les synonymes de leur état social. Être pauvre, donc naître pauvre, vivre pauvre, et mourir pauvre.
Michelle Grenot, autre historienne, nous introduit dans la face cachée de la révolution de 1789. On y a proclamé que les hommes étaient égaux en droit. Las, notre première constitution, en 1791, viole ce principe ! Elle exclut d’emblée les plus pauvres en organisant un régime censitaire. Non, contrairement à ce que l’on m’a appris à l’école, il n’y avait pas que 3 ordres, la noblesse, le clergé et le tiers état. Pour faire partie de ce dernier il fallait payer au moins 6 livres d’impôt. Et l’on découvre alors le combat d’un député très spécial, Louis-Pierre Dufourny, qui défendit (en vain) ce qu’il appelait le quatrième ordre, le quart-état.
Quand à Philippe Osmalin, metteur en scène, formateur pédagogue, directeur de la Compagnie « Théâtre de la Fugue », il nous introduit dans une autre dimension, celle du théâtre libérateur,… Libérateur d’abord pour ces jeunes, ces adultes, ces enfants qui « subissent les injustices et les affronts, mais cherchent, par leur posture de militants de leur propre cause à se dégager de ce carcan dans lequel on veut les enserrer ». Car ce sont eux les acteurs principaux de cette pièce ! Libérateur aussi pour les « jeunes comédiens professionnels venus assurer la colonne vertébrale du spectacle, et favoriser la mixité sociale et culturelle qui est au centre de la démarche du mouvement ATD Quart Monde ».
J’ajouterai aussi libérateur pour ceux qui ont vu la pièce, et pour ceux, encore plus nombreux je l’espère, qui se plongeront dans ce livre.
Un texte !
Bien sur il y a la transcription de la pièce, jouée à Paris en octobre 2017.
La première scène nous transporte à la première guerre mondiale, dans l’enfance et la jeunesse du Père Joseph.
La seconde nous fait voyager dans le temps, celui de la révolution française, en avril 1789, au moment des états généraux convoqué par Louis XVI. Et tout au long on chemine avec Dufourny, Wresinski, Victor Hugo (quel texte que cet appel !),… tout autant que ceux qui ont vécu mai 68 dans le bidonville de Noisy, puis au temps d’aujourd’hui, se plonger dans les bibliothèques de rue, les Universités Populaires Quart Monde, et même le mouvement Tapori (les enfants amis de ceux qui n’ont pas d’amis). On découvre une démarche inscrite dans le passé pour mieux engager l’avenir.
Comme le dit Michelle Grenot, lire le texte de la pièce permettra d’en peser les mots, de réagir, et à travers les photographies de voir les acteurs, tous pleinement engagés dans l’histoire.
Des encadrés !
Surtout n’en sauter aucun ! La convocation des habitants de Paris aux assemblées de district…Les cahiers du quatrième ordre…Les comités civils et leur rôle face aux difficultés d’avoir un travail… La distinction entre les citoyens passifs et les citoyens actifs….
Mais aussi le rappel de la situation des bidonvilles français dans les années 1960, le manifeste « Un peuple parle » lancé en 1968, la première journée de refus de la misère en 1987,…
Ces encadrés explicatifs, ces repères historiques, quelques documents (comme l’appel de Victor Hugo), complétés par une bibliographie, sont sources de réflexion pour aujourd’hui.
Plusieurs lectures
Comme beaucoup de livres et pièces, nous pouvons en faire plusieurs lectures, de quoi répondre à chacun…
Pour certains d’entre nous c’est un livre d’histoire sur ATD Quart Monde, de la naissance de son fondateur en 1917, à nos jours.
D’autres retiendront surtout cette partie inconnue de l’histoire politique de la France, ou découvriront l’histoire tout aussi inconnue de nos citoyens les plus exclus, et pourquoi la misère est toujours là, malgré une période riche comme les « trente glorieuses »…
Certains y verront avec bonheur le rôle libérateur d’un théâtre engagé…
On peut également le prendre pour réfléchir, avec un recul que ne permet pas nos média d’aujourd’hui, par rapport à la crise dite des gilets jaunes, avec le parallèle sur le quatrième ordre et la place des plus pauvres dans les mouvements révolutionnaires ou contestataires,….
On peut aussi le diviser en partie. La scène 9 par exemple pourrait servir à réfléchir sur la numérisation de l’administration et la fracture numérique, danger N°1 actuel.
Peu importe ! Personnellement je me suis plongé avec joie dans ces différentes lectures que je mélange à mon envie. Je vous souhaite d’en faire de même.
Et n’hésitez pas à ajouter un commentaire à cet article, pour compléter, infirmer ou affirmer ce que j’en dis plus haut. L’échange est aussi un outil libérateur…
Michel Lansard
Co-édité par les éditions Quart Monde et les Chroniques sociales
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