[Invité] Allo le 115… (*)

Intéressante contribution d’un groupe d’une quinzaine de personnes de l’accueil de jour « Maison de Rodolphe » lors de l’Université Populaire Quart Monde d’Auvergne-Rhône-Alpes, sur le thème : « L’injustice à la justice sociale. »

Il en est ressorti également ce texte collectif…

SDF-115

Lyon, 13 avril 2019

Nous voulons vous parler du 115 car c’est quelque chose que nous vivons comme une grande injustice.

Pour nous, le 115, c’est un mensonge. Beaucoup ont constaté qu’il y a des places ou des boxes qui restent vides, alors que, lorsque nous appelons, ils disent qu’il n’y a pas de place. L’un d’entre nous disait que de voir cela lui faisait très très mal au cœur. Plusieurs fois il est rentré dans un centre d’hébergement en cachette et il a dormi dans une place qui n’était pas occupée. Il n’est pas le seul.

Certains pensent qu’il y a du favoritisme : « On me dit : dans 4 jours on vous donne une place ». J’appelle quatre jours après parce que j’estime que j’aurais une place et on me répond : « Désolez monsieur, mais il n’y a pas de place ». Et un collègue qui est là, devant moi, et qui a dormi deux jours, il appelle et on lui donne une place. Donc je pense que ce n’est pas un droit, c’est de l’injustice ou du favoritisme. »

Une autre personne a dit : « Le même jour, la même voix au téléphone, c’est « non » et puis, juste après c’est « oui ». »

Certains parlent même de racisme car c’est le sentiment qu’ils ont : « Vous appelez, vous avez un accent africain, on vous dit : « désolez, il faut rappeler demain » et vous avez un ami français qui appelle et on lui dit : « il y a une place pour vous, vous pouvez venir. » ». Un autre disait l’inverse : « Vous êtes français et il n’y a pas de place et puis, la personne qui est étrangère et qui est à côté de vous, elle appelle et elle à une place. ».

L’une d’entre nous a dit que, alors qu’elle était enceinte de 3 mois et qu’elle appelait le 115, elle était obligée d’attendre tous les trois jours pour avoir une place. On ne peut pas vivre dehors enceinte et à cause du froid, elle a perdu son bébé à 3 mois et demi. Elle nous a dit que de perdre son bébé, ce n’est pas facile, et encore plus quand vous n’avez personne à côté de vous.

Et puis, lorsque l’on appelle le 115, il y a l’attente pour pouvoir parler à quelqu’un : jusqu’à 45 minutes et après, toujours les mêmes paroles : « il n’y a pas de place » ou « rappelez demain » ou « rappelez à 21h ». Comment on fait quand on a pas de portable ou quand on a plus de batterie ? Il n’y a plus de cabine téléphonique dans les rues. Le problème aussi, c’est qu’il y a des gens, leur stock de patience est épuisé.

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Nuage fait des mots des participants, co-rédacteurs de cette déclaration, au cours de la préparation à l’Université Populaire Quart Monde sur la justice sociale.

Régulièrement, au 115, ils vous raccrochent au nez. Ils ont le droit de vous parler mal, mais pas vous. L’un d’entre nous disait : « Le monsieur du 115 m’a parlé comme un chien. C’était sur un ton assez agressif. J’avais envie de l’insulter mais si tu l’insultes, tu es mort. ». L’appel est enregistré et ils peuvent porter plainte.

Une autre personne disait que, plusieurs fois, il a enregistré la conversation téléphonique et il l’a fait réécouter ensuite aux personnes du 115 pour leur montrer comment on lui parle. Grâce à cela, il a obtenu des places d’hébergement.

Parfois, à 23h, on te dit qu’il y a une place, mais c’est très loin et il faut marcher 1h ou 2h pour y aller.

Dans un des centres d’hébergement d’urgence, les conditions d’hygiène ne sont pas acceptables. Plusieurs personnes disaient : « C’est une infection. Pour rentrer dans les lits de camp, il faut un masque à gaz. », « Après une nuit là-bas, ma veste, c’était un HLM de punaises. ». Cela représente un risque médical que nous ne pouvons pas prendre.

L’un d’entre nous disait ce qu’il faisait lorsqu’il était à la rue. Il appelait le 115. « Ils me disaient qu’il n’y a pas de place ». Il téléphonait après au samu social. Le samu social lui disait les endroits où il y avait des places. Et après il rappelait le 115 pour leur dire où il y avait de la place. Et là, ils lui donnaient une place.

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Autre nuage de mots dans les mêmes circonstances…

Il y a deux ans, l’un d’entre nous, élu au comité des usagers de l’accueil de jour, a organisé une rencontre avec la responsable du 115. Elle a écouté les personnes qui ont témoigné et elle a été choquée.

Mais le problème du 115, c’est aussi le problème du logement. Une personne dont le travail était de retaper des logements pour des régies HLM a dit : « Il y a des appartements qui restent vides deux ans. Ils sont fermés avec des portes blindées. Et en même temps, il y a des gens qui demandent un logement social et la réponse est : « il n’y a rien ». »

A cause de tout cela, plusieurs d’entre nous ont arrêté d’appeler le 115. Ils ont baissé les bras.

Pourtant, l’un de nous a fait une proposition : « Partout à Lyon, il y a des maisons non habitées. Si la ville de Lyon s’organisait mieux, ils pourraient mettre toutes les personnes qui dorment dehors dans ces logements vides. »

Groupe de préparation de l’Accueil de jour de La Maison de Rodolphe (Lyon 8ème).

Comme tous les articles invités, celui-ci n’engage que son ou ses auteurs.

* Le 115 est le numéro d’urgence sociale qui assure des missions d’accueil, d’écoute et d’information, en matière d’hébergement, d’aide alimentaire, d’accès aux soins ou toute autre prestation de 1ère urgence.

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