Pédophilie et affaires multiples
Face aux « affaires de pédophilie » qui secouent, entre autre, le diocèse catholique lyonnais, on entend souvent des réactions du genre : « ce n’est qu’un acharnement anti-catho »,
ou « et d’abord pourquoi cela sort seulement 30 ans plus tard » ou même : « s’ils n’ont rien dit avant, c’est peut-être parce qu’ils étaient consentants »…
Le cardinal Barbarin vient d’ailleurs de réagir fortement contre 2 de ses prêtres… (1)
Si la pédophilie est à dénoncer et combattre, si nous devons accueillir et soutenir les victimes, il me semble qu’il faut prendre un peu de recul, et ne pas juger les actes d’hier seulement en fonction des principes d’aujourd’hui. Comme dans l’étude des textes sacrés, il convient de contextualiser…
Au cours de ces dernières décennies, il y a eu diverses évolutions :
Sacralisation des enfants
Lorsqu’un élève se faisait punir par son instituteur, le plus souvent il recevait une seconde punition à la maison. Aujourd’hui, les parents viennent se plaindre au directeur pour défendre leur rejeton « forcément innocent ».
L’évolution du monde du marketing va dans le même sens. On s’adresse aux enfants dans les publicités. On le fait pour leur vendre des jouets par exemple, mais aussi pour, à travers eux, vendre autre chose aux parents… C’est la notion d’enfant roi…
De la même façon, il y a 50 ans, si un enfant évoquait des gestes pédophiles (instituteur, aumônier,…) on faisait confiance à l’adulte concerné, pas à l’enfant. Aujourd’hui la priorité est inversée…
Changement de perceptions sur la sexualité des enfants
On a peut-être un peu oublié l’époque où certains européens affirmaient l’apologie de la pédophilie. Dans les années 70, certains posaient la pédophilie comme une attirance sexuelle acceptable. D’autres, ou les mêmes, contestaient les notions de majorité sexuelle (13 ans à l’époque) ou d’abus sexuel sur mineur.
Pensons même à des écrivains ou célébrités comme Henry de Montherlant ou André Gide qui assumaient leurs goûts sexuels pour les jeunes garçons sans être poursuivis. Ajoutons, de façon différente, Roger Peyrefitte, obtenant le prix Renaudot 1944, pour son livre sur « les amitiés particulières » montrant une passion amoureuse entre deux garçons de 14 et 12 ans, au sein d’un internat catholique… Ou encore Gabriel Matzneff, affirmant : « Les petits garçons de onze ou douze ans que je mets ici dans mon lit sont un piment rare. »
On a vu des positions « pro-pédophiles » sur certains plateaux télé à des heures de grande écoute !
Aujourd’hui la pédophilie est considérée comme un crime, et non comme une option sexuelle libre et privée.
Et ce n’est pas contradictoire avec le fait de la considérer comme une maladie, ou de savoir que la majorité des pédophiles ont eux-mêmes été victimes dans leur enfance. La société a grandement évolué sur ce plan.
Le féminisme et le viol
Le combat féminin a fortement contribué à faire changer les mentalités sur le viol (même si une minorité des personnes violées sont des hommes). Il y a eu des années de combat contre les réactions spontanées du genre « habillée comme elle est, elle l’a bien cherchée » ou « et d’abord , pourquoi elle s’est pas défendue » et j’en passe…
Le combat n’est pas totalement gagné, loin s’en faut (rappelons nous la fin d’année à
Cologne par exemple), mais il a progressé dans le bon sens.
Or la pédophilie est un viol !
De même que de nombreuses femmes (et encore plus des hommes) n’osaient pas porté plainte, des enfants se taisaient. Aujourd’hui les plaintes sont accueillies de façon plus positives. On peut même parfois s’interroger, car certains en ont joué pour porter tort à un parent, enseignant, pasteur,… qui était innocent.
Institution et individualisation
Les dernières décennies ont progressivement mis en avant l’intérêt individuel. Auparavant c’était même souvent mal vu. Il était alors normal de défendre l’institution (école, armée, église,…) contre l’intérêt de la personne privée qu’était la victime.
Aujourd’hui cela s’est inversée. On met la personne en avant,
et on se méfie de l’institution.
Un traumatisme largement sous-estimé.
J’ai une amie dont le père a abusé pendant des années. Il lui a fallu encore plus d’années pour arriver à en parler, et encore davantage pour s’en libérer psychologiquement…
Certaines victimes peuvent être tellement choquée, c’est à dire en état de choc, que leur cerveau fait le black-out total. Les faits disparaissent dans un trou noir psychologique. Ils n’existent plus du tout. Cela peut durer toute la vie, comme il arrive qu’un événement réactive tout cela, brusquement, dans la mémoire.
C’est d’ailleurs parce que le législateur est bien conscient de cette situation, qu’il a proclamé de nombreuses années avant de poser une prescription. (2)
Qu’en conclure ?
La perception de la pédophilie, et la situation de l’enfant dans nos sociétés aujourd’hui, favorisent la libération de parole des victimes. Il est donc normal que des affaires anciennes surgissent maintenant. Et la libération de parole de certaines victimes encourage d’autres à en faire autant, ou participe à casser les blocages de mémoire de celles qui avaient « oublié ».
Ce n’est donc pas forcément une campagne menée par des « bouffeurs de curés » comme le croient certains. Certes il y aura toujours des personnes anti-cléricales ravies de l’aubaine. Mais cela ne doit en aucun cas être une excuse pour rejeter les victimes, comme viennent de le faire les 2 prêtres lyonnais sermonnés par le cardinal…
Michel Lansard
Notes
2)Prescriptions
La victime peut porter plainte jusqu’à ses 38 ans dans les cas les plus graves notamment s’il s’agit :
• de viol,
• d’attouchements sexuels commis lorsqu’elle avait moins de 15 ans,
• ou d’attouchements commis par un ascendant, une personne ayant autorité, ou par
plusieurs personnes.
Le dépôt de plainte peut se faire jusqu’aux 28 ans de la victime dans les autres cas
d’infraction sexuelle.