RSA et bénévolat, la nouvelle polémique
RSA et bénévolat, voilà ce que le département du Haut-Rhin veut lier de façon obligatoire. Il vient en effet de voter, ce 5 février, que pour toucher le RSA ( Revenu de Solidarité Active) il faudra faire 7 heures hebdomadaires de bénévolat. Que faut-il en penser ?
Rappel sur le RSA
Le RAS est un revenu (et non une aumône) financé par la Solidarité (entre citoyens) visant à ce que la personne concernée retrouve une situation Active.
Il se compose de 2 parties : le RSA « socle », un revenu minimum pour les personnes sans ressources qui a remplacé le RMI, et le RSA « activité » qui complète un petit salaire. De quelle partie parle-t-on dans ce vote alsacien ?
Le RSA est un droit, mais sous certaines conditions (âge, situation,…).
C’est aussi un devoir : rechercher un emploi !
Et pour y parvenir, chacun peut accéder à un accompagnement social et professionnel.
L’obligation de recherche est claire et même détaillée dans les textes :
« Vous ne pouvez pas refuser plus de 2 offres raisonnables d’emploi telle que définie dans votre projet personnalisé d’accès à l’emploi (PPAE) ou dans le contrat d’engagement« .
Je ne peux préciser davantage ici et vous renvoie donc à d’autres textes ci-dessous (1).
Aspects juridiques du vote
Le RSA appartient aux mesures décidées par le législateur national. Sa définition ne rentre pas dans la responsabilité des collectivités territoriales, et ce, même en Alsace, région qui par son histoire garde des fonctionnements parfois très différents du reste de la France.
Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales, a fort justement rappelé dès le 8 février qu’il n’était « pas possible de conditionner le versement du RSA à l’exercice du bénévolat« .
Ce vote n’a donc apparemment aucune valeur légale et sera refusé.
Éric Straumann, (ex UMP, Président du conseil départemental) semble s’y attendre puisqu’il disait déjà le 5 février que « si le préfet attaque cette décision devant le tribunal administratif, on verra bien« .
Un vote politique
Qu’une assemblée régionale vote une politique est normal. C’est sa fonction. Et le problème n’est pas là. Mais voter une mesure qui, juridiquement, ne peut pas être applicable, pose question.
On est alors en droit de penser que cette annonce, correspondant à une des promesses de campagne d’Éric Straumann pour les élections régionales, est plus à visée politique (pour ne pas dire politicienne) que sociale… Le fait qu’il annonce que d’autres responsables régionaux veulent aller dans ce sens ne fait que renforcer cette perception.
Certes, officiellement il s’agit de permettre « aux bénéficiaires de reprendre pied avec la société« , les obligeant à avoir « un contact social« . Et Laurent Wauquiez, (nouveau Président de la région Auvergne-Rhône-Alpes ; ex UMP), tweet que cette mesure » permet aux bénéficiaires du RSA (…) une insertion par le travail et non par l’assistanat« .
Mais cette idée porte une image particulière sur les personnes concernées…
Les sous-entendus idéologiques
Il y a sans doute, pour certains élus, une arrière pensée politicienne. Mais je m’intéresse plus au courant de pensée qui traverse une partie de nos concitoyens, et qui s’exprime clairement par exemple, à travers des forums.
Voici un exemple (inutile d’en citer des centaines). Je laisse le texte tel quel :
« Si vos fainéants, vos bons rien, pensent que 500€/mois n’est pas assez, qu’ils se mettent au boulot! Et il y en a du boulot!!! 400 000 emplois laissés vacants chaque année! C’est vrai que ces emplois sont harassants et non valorisants, mais j’ai plus d’estime pour une personne qui travaille à ramasser de la merde, que la sous-merde qui vie de l’assistanat!!!! »
Il s’agit de dénoncer les bénéficiaires du RSA (ou du moins leur majorité) comme étant des paresseux, profiteurs du système, qu’il faut mettre au travail (bénévole) pour qu’ils remboursent ainsi ce qu’ils coûtent aux « braves gens » » qui eux, payent des impôts.
RSA et bénévolat, quelle efficacité potentielle ?
Comment organiser la pratique d’une telle obligation ? Comme le rappel ATD Quart Monde (2) c’est plutôt impossible. Mettons que cela concerne 20.000 foyers dans le département du Haut-Rhin, donc au moins 20.000 personnes pendant 28 heures par mois. Il faut organiser 560.000 heures de bénévolat chaque mois !
Quelles activités ? Dans quels locaux ? Encadrées par qui ? Financées comment ? Et quid des assurances s’il y a un accident ?…
Et bien sûr, de nombreux foyers ont plutôt 2 personnes.
Et si cela passe au niveau national, en bon principe égalitaire, les chiffres explosent, sans même aller voir ce qui se passe dans les départements d’outre-mer…
Mais peut-être qu’en bons responsables politiques les élus alsaciens ont-ils mis en place des réponses à toutes ces questions. Je serai intéressé à ce qu’ils les communiquent…
Quelques aspects oubliés
Tous les bénéficiaires potentiels ne demandent pas le RSA
Le RSA est souvent vécu comme une honte. Ils sont donc nombreux à ne pas le demander par peur du regard des autres : 50% de non recours aux RSA en moyenne selon l’ODENORE en 2012. (3)
Même les plus pauvres, avec ou sans RSA, payent des impôts
Oui, à tort ou à raison (on peut en débattre) les plus pauvres ne payent pas certains impôts comme la taxe d’habitation, ou celui sur les revenus,…
Mais ils payent quand même des impôts dans leur quotidien comme la taxe sur les carburants, ou la TVA. Personne ne paye aucun impôt !
Être bénévole prend du temps, mais coûte le plus souvent aussi de l’argent
Dans sa définition forte, le bénévolat, par exemple pour une association, ne coûte rien à l’association. Cela veut dire que la personne bénévole s’assume totalement (transport, formation, repas,…).
On peut certes imaginer des remboursements de frais, mais il y a aussi des coûts moins visibles, concernant par exemple la garde des jeunes enfants…
Le bénévolat va avec le volontariat
Un bénévole a décidé de participer à l’action de telle ou telle association, pour des motivations personnelles. Est-ce encore du bénévolat si c’est le département qui décide que vous allez faire tant d’heures, à tel endroit, sur telle activité…? Cela ressemble davantage à du travail obligatoire non payé !
RSA et bénévolat : cela existe déjà, sans obligation
Dans de nombreuses associations j’ai rencontré des personnes en difficulté (chômeur, personne au RSA ou non, réfugiés sans droit,…) participant bénévolement aux actions. C’est un choix ! C’est LEUR choix !
Ils se sentent utiles, et trouvent une place parmi les autres. Pour les plus fragiles, cela leur permet de ne pas perdre pied et de se sentir insérés dans la société.
Plus qu’une question de temps et d’argent, il s’agit de leur dignité ! Leur dignité de personne humaine !
Rendre ce bénévolat obligatoire c’est au contraire une négation de leur dignité !
Conclusion
Tout comme la laïcité, l’écologie, la déchéance de nationalité,… et d’autres sujets que nous abordons sur ce blog, nous sommes dans la question de fond de ce que l’on appelle le « vivre ensemble », ou ce que peut signifier le « faire société »…
RSA et bénévolat, c’est toujours la même question : notre relation aux autres.
Le parti-pris de ce blog est que l’autre, quel qu’il soit, a une valeur, et peut avoir sa place en tant que personne humaine. Qu’il soit pauvre ou riche, quelque soient sa croyance, son savoir, son âge, son sexe, sa situation familiale ou professionnelle… il est pleinement humain et a droit au respect et à la dignité.
Notre pays, pour être à côté des plus faibles, a posé avec le RSA un plancher économique. C’est un droit/devoir pour tous, qui est, pour moi, incompatible avec la proposition alsacienne.
Michel Lansard
Notes
1) Textes présentant le RSA :
–> https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/N19775
–> http://www.journaldunet.com/management/salaire-cadres/1159725-rsa/
2) Communiqué ATD Quart Monde
–> https://www.atd-quartmonde.fr/rsa-contre-benevolat-haut-rhin-monnayer-solidarite-nationale-inacceptable/
3) Présentation de l’ODENORE
–> http://odenore.msh-alpes.fr
4) Voir aussi notre billet sur les fraudes :
–> http://jautre.com/fraude-sociale-et-fraude-fiscale/