Joseph, mon ami
12 février 1917, à Angers. Le petit Joseph Wresinski est né, d’une mère espagnole et d’un père polonais. La famille vit alors dans un camp d’internement. La France était encore dans la première guerre mondiale, et un polonais (qui plus est porteur d’un passeport allemand) était forcément suspecté de collaboration avec l’ennemi…
C’est ainsi que la pauvreté vécue par un petit garçon, changea des années plus tard, la vie de milliers de ses semblables à travers le monde… En particuliers la mienne…
Un drôle de bonhomme qui dit des drôles de trucs…
J’ai croisé Joseph pour la première fois en 1969. J’étais étudiant à Nancy. Une amie m’avait proposé d’écouter une conférence donnée par un prêtre, à propos de pauvreté. Avec quelques amis nous étions depuis déjà pas mal de temps en dialogue intense avec un groupe de « clochards » (à l’époque on ne disait pas SDF). Je croyais donc qu’il allait nous parler d’hommes comme ceux que je fréquentais.
Mais il nous parla de familles, d’enfants,… J’avoue que je n’ai pas tout compris. C’était loin de ma vie, loin de ce que j’avais appris. Il parlait d’un monde que je ne connaissais pas.
Je me suis alors souvenu d’un voyage en Italie organisé par mon lyçée, quand j’avais 17 ans. Le car qui nous emmenait à Naples s’approchait de la ville. De loin je voyais des jardins. Beaucoup de jardins… Puis en arrivant plus près, stupeur ! Il n’y avait pas de jardins autour de ce que je voyais comme des cabanes de jardin.
Contrairement au petit garçon d’Angers, j’ai grandi dans un quartier ouvrier avec des maisons et des jardins autour. Des zones entières n’étaient faites que de jardins avec souvent une cabane sur chaque lot.
Rien ne me préparait à découvrir ce qui était mon premier bidonville !
En ce printemps 1969, par sa conférence, celui que l’on nommait alors « le Père Joseph« , venait de chambouler ma vision du monde, même si je n’étais pas conscient du chemin sur lequel cela allait m’emmener…
Un appel à l’action !
Joseph a terminé sa conférence en faisant un appel. Le petit groupe local de bénévoles du mouvement organisait une colonie de vacances pour des enfants des bidonvilles parisiens. Et ils manquaient de moniteurs. Je ne sais toujours pas ce qui m’a pris. Moi qui n’était jamais allé en colo, qui ne m’était jamais occupé d’enfants,… j’ai levé la main !
C’était une des forces de Joseph. Transmettre sa passion pour ceux qu’il appelait son peuple, et appeler chacun à venir le rejoindre pour casser cette misère qu’il avait lui-même connu enfant, et retrouvé à Noisy le Grand un certain 14 juillet 1956…
Une autre force était de croire que les autres, non marqués par la misère comme lui, pourraient entendre la voix des exclus, et pouvaient petit à petit comprendre, et s’allier avec eux. En m’envoyant dans cette colo il espérait, entre autre, que les enfants contribueraient à casser mes certitudes et mon image du monde, suffisamment pour que le mois d’août passé, je leur fasse une place en moi-même…
Et ce sacré bonhomme a gagné.
L’étudiant dévoreur de livres, fils d’institutrice et d’ingénieur, a rencontré ces enfants qui ne savaient pas ou peu lire.
Le lyonnais gastronome, doit leur expliquer à la cantine tout ce qui est différent des pâtes, du riz et des frites…
L’amateur de science fiction n’arrive pas à convaincre ces enfants que des hommes viennent de marcher sur la lune…
Tout cela me montre le lien fort entre l’ignorance, la misère et l’exclusion, et met en avant l’importance du savoir…
2017
Le temps est passé. Le « drôle de curé » a tenu sa promesse aux familles de Noisy de leur faire monter les marches de l’Élysée, de l’ONU, du Vatican,…
Le mouvement qu’il a créé lui a survécu, après sa mort, ce 14 février 1988.
ATD Quart Monde est aujourd’hui implanté activement dans 34 pays.
Dans 2 jours, le 14 février, le CESE fêtera à Paris les 30 ans du rapport Wresinski, rapport qui a eu un très fort impact au plan international, et pas seulement français.
En juin, un colloque international, à Cerisy (France – Manche) abordera la pensée de Joseph Wresinski sur le thème : « Ce que la misère nous donne à repenser« .
Le 17 octobre prochain nous fêterons le trentième anniversaire du grand rassemblement lancé au Trocadéro à Paris (100 000 personnes), et ce qui fût reconnu par l’ONU, journée mondiale du refus de la misère.
Et ce n’est qu’un échantillon de tout ce qui va se passer….
Oui le petit garçon de 5 ans qui faisait vivre sa famille en servant la messe moyennant 2 francs de l’époque, a changé la vie de centaines de milliers de personnes, pauvres ou non.
Quand un dico sert de message…
Il a transformé ma propre vie, puis celle de ma famille, et les influence encore à ce jour.
En écrivant cela je lève les yeux sur mon gros dictionnaire Lexis de la langue française.
C’était en 1976. J’animais alors beaucoup de sessions de formation au centre international ATD Quart Monde. Et Joseph m’avait offert ce dico en écrivant sur la première page :
» Quelques mots pour combler les silences… bonnes sessions en 1976« .
Le dico symbolise le savoir, et surtout le partage du savoir.
Les sessions ne sont que des moyens, parmi d’autres, de faire partager la vie, les espoirs, la pensée de ceux qui connaissent, mieux que tous, ce que sont la misère et l’exclusion.
Tout un message que je porte encore, et que j’essaye, maladroitement peut-être, de poursuivre à travers, entre autre, ce simple blog.
Vous comprenez mieux sans doute pourquoi je vais vous entretenir toute l’année, de ci de là, de cette extraordinaire mobilisation 2017 : « STOP PAUVRETÉ » !
Mais aujourd’hui, centième anniversaire de naissance de Joseph, j’ai aussi juste envie de penser à celui qui a été, et reste, un ami qui a tant marqué ma vie.
Où que tu sois Joseph, tu peux être fier de ce que tu as bâti !
Michel Lansard
PS : dans les billets suivants (5 pour aujourd’hui, c’est très exceptionnel)
découvrez d’autres regards sur le Père Joseph…
–> http://jautre.com/joseph-wrenski-decale/
–> http://jautre.com/tapisserie-joseph-wresinski/
L’une des grandes qualités du Père Joseph a été certainement de transmettre son enthousiasme et ses convictions – sa colère – à ceux qui ont bien voulu le suivre dans sa démarche.
Il a semé une graine dans le coeur de Michel.
Je n’ai pas connu le père Joseph, et en même temps, je l’ai connu à travers ce que m’en a dit, et sans doute plus que dit, Michel…
Je me souviens des longues conversations à Majo où nous allions manger après une matinée de travail… Michel me racontait ATD, le Québec où lui et Yvonne ont créé une équipe… Cela a largement contribué à l’amitié qui nous unit désormais.
Joseph était – est toujours – l’ami de Michel et Michel est mon ami.
On est ami lorsque celui qui est notre ami nous touche au plus profond de notre coeur et nous « déplace », nous oblige à aller ailleurs, vers d’autres horizons, ceux vers lesquels on n’aurait pas forcément eu l’idée d’aller…
Alors oui, merci Michel pour ce beau témoignage, merci de m’avoir permis de découvrir le père Joseph qui devient lui aussi mon ami, pour aller encore plus loin 😉
Je suis l’amie de Michel, qui lui a proposé la conférence. Je n’ai pas souvenir que j’y sois allée…
En 1968, un ami avec lequel je devais partir en vacances est mort dans un accident de voiture.
Je me suis retrouvé déprimée,sans projet…..et suis partie comme volontaire pour 1 mois à Noisy le Grand dans le bidonville.
Impressionnant !: des igloos,souvent sur terre battue, peu d’ouverture sur l’extérieur,…
Beaucoup d’enfants, souvent rasés-seule méthode connue par les familles pour éradiquer les poux.
Il y avait un jardin d’enfants….et en prime un but affiché d’un enfant à polytechnique en l’an 2000….
J’étudiais, comme Michel, les mathématiques sans grande conviction.
J’ai compris que je serai plus heureuse de servir ces gens que je découvrais.
Le père Joseph insistait pour que nous nous formions et je me suis inscrite à la formation d’assistante sociale.
je n’ai jamais regretté ce changement de cap.
Voilà un autre témoignage de la présence du père Joseph et de son incroyable capacité à entrainer derrière lui ceux qu’ils rencontraient.
Merci Michel pour ce très beau texte et touchant témoignage.
Yann
Merci pour ce beau partage qui vient m’eclairer d’avantage sur ce grand homme que fut le pere Joseph et qui donne envie de continuer son oeuvre. Merci de faire que le Pere Joseph devient de plus un plus un compagnon de route qui me permet d’avance dans plus d’authencite et dans le vivre ensemble.
Maita
De L’ile Maurice