Philosophie, immobilier, mathématiques et pauvreté…Un panel autour d’un livre « radical »…

Quand un peuple parle…

Hier soir, l’auditorium de la bibliothèque de la Part-Dieu, à Lyon, affichait complet. Les 100 places étaient prises, et plus de 30 personnes  suivaient sur écran dans le couloir…

Le débat du jour, animé par Laurence Potié, rassemblait  un philosophe, Emmanuel Gabellieri, un bâtisseur social, Bernard Devert et l’auteur du livre du jour, Bruno Tardieu.  « Quand un peuple parle – ATD Quart Monde, un combat radical contre la misère« .

Quand un peuple parle, de Bruno Tardieu

Un échange très riche

Dire que l’échange a été très riche est classique. Peut-être n’avez-vous à peine lu ce sous-tire, que vous avez souvent rencontré . Et pourtant aujourd’hui, il a une résonance particulière… Cela peut-même choquer certains : parler de « riche » à propos de la misère…

Cela fait écho au fondement même de ce livre : c’est en partant des plus pauvres, en écoutant les plus pauvres, que l’on peut détruire la misère. C’est par eux que l’on peut réussir à ce que tout le monde, vraiment tout le monde, progresse, et devienne riche… riche en humanité, car si la misère comporte bien la pauvreté, ce n’est pas seulement une question économique !

Mixer l’approche philosophique (Simone Weil, Albert Camus,…),  l’action concrète via un habitat créateur de liens, et le vécu au quotidien des familles les plus pauvres, c’est ce que nous ont offert les trois intervenants de la soirée.

Un panel « radical »

Le livre nous montre la nécessite de mener un « combat radical ». Comme en écho je vois dans le panel des intervenants de cette soirée, une forme de représentation de cette approche radicale. Revisitons le avec un brin d’humour… Car l’humour est aussi une arme contre la misère…

Laurence Potié est chargée de mission, à la Mission Régionale d’Information sur l’Exclusion Rhône-Alpes. Elle anime la table-ronde. Ceux qui ne la connaissent pas se diront qu’après tout c’est normal, puisqu’on parle des pauvres…

Bernard Devert est prêtre. Normal encore… Après tout si on parle pauvreté, un curé c’est de circonstance non ?  Ok, il n’a pas toujours été prêtre, puisqu’avant il a été agent immobilier. Mais il a fondé Habitat et Humanisme, très connu des lyonnais, et intervenant de nos jours dans de nombreuses régions… Mais là encore c’est normal, il faut bien faire quelque chose pour loger les pauvres non ?…

Mais voilà qu’il y a aussi Emmanuel Gabellieri. Un philosophe ! Ok il est professeur à la faculté catholique de Lyon, donc un côté catho qui va bien pour les pauvres. Mais diable (si j’ose dire !)  qu’est-ce qu’un philosophe vient faire dans cette histoire ? Les pauvres ont besoin d’aide matérielle, pas de philosophie, tout le monde sait ça, non ?

Quand à Bruno Tardieu, il est de formation mathématique. Qu’est-ce que les familles les plus pauvres peuvent faire des mathématiques, elles qui ont si peu qu’il n’y a rien à compter ? Certes, volontaire permanent d’ATD Quart Monde il en a été le délégué national France  pendant 8 ans, mais quand même… des maths !!!

Et pourtant !
Pour lutter contre la misère il faut des prêtres comme Bernard Devert, (ou encore des rabbins, imams et autres pasteurs…) mais aussi des personnes agnostiques ou athées comme Bernadette Cornuau dont je vous parlais hier.
De la même façon on a besoin de spécialistes de l’habitat (ou d’instituteurs, infirmières, assistantes sociales,…) mais tout autant de philosophes et de mathématiciens (ou d’esthéticiennes, professeurs de musique,… et même de personnes sans profession…).

Ce panel est en phase avec le livre. Il montre très concrètement qu’il faut un combat radical, politique (et non politicien) et que cela concerne l’ensemble de notre société, et donc chacun, là où il est…

« Chacun », cela veut dire aussi, et surtout, les plus pauvres !

Des experts à la pointe du combat

On ressort également de ce débat, et encore plus de ce livre, en comprenant pourquoi et comment les plus pauvres eux-mêmes sont les véritables experts de la lutte contre la misère. Eux seuls la connaissent en profondeur.

Mais ils ne sont pas armés pour en parler, et surtout la société n’est pas prête à reconnaitre qu’ils ont tant à nous apprendre.  Ils se heurtent à nos préjugés que l’ont peut ainsi résumer : « les pauvres sont des ignorants et on sait mieux qu’eux ce qu’il leur faut... ».
De telles idées ne montrent en fait que l’ignorance de ceux qui les portent…

Histoire de Nathalie

On ne résume pas un tel livre en quelques lignes. Aussi je me contente de reprendre
l’histoire de Nathalie, qu’à bien connu Bruno Tardieu.

Petite, elle vivait dans une cité de transit, à Créteil (région parisienne). Un jour, à l’école, la maitresse demande à quoi sert la mairie. Les autres enfants ont répondu : « à se marier, à faire ses papiers, à voter,… »
Nathalie a dit que cela servait quand on était malade.
« Non, Nathalie,  tu te trompes » lui dit la maitresse, pour faire cesser les rires de la classe.
Et Nathalie s’est tue.

Pourtant elle savait bien, elle, que lorsqu’il y avait un malade chez elle, il fallait aller à la mairie pour obtenir le papier rose de l’aide médicale gratuite. Sa mère, qui avait trop honte, l’envoyait chercher ce maudit papier…

Ce jour là, Nathalie a appris qu’elle ne devait pas parler de sa vie…

C’est parce que l’on a écouté ce que savait Nathalie, et à travers elle des milliers d’autres Nathalie, qu’ATD Quart Monde a pu se battre et obtenir la  généralisation de la couverture santé, avec la CMU, en l’an… 2000 ! C’est un des nombreux exemples où, écouter les plus pauvres, a permis de faire progresser un droit vraiment pour tous !

Quand un peuple parle, un sacré projet !

Quand un peuple parle... Un titre lourd de sens pour un  livre, qui est, selon moi, puissant, facile à lire, très vivant  et en même temps très bien documenté. Un livre à lire, à réfléchir et à travailler…
ATD Quart Monde, un combat radical contre la misère, le sous-titre d’un livre politique au sens fort du mot, un livre pour bâtir un autre avenir tous ensemble, un livre à partager…

Dans ce billet je veux juste signaler le succès de la rencontre d’hier, et illustrer le fait que nous avons tous un rôle à jouer dans ce combat radical, via la composition, apparemment, mais seulement apparemment, étonnante de ce panel 😉

Si vous avez envie de partager sur ce livre, je suis preneur…

Michel Lansard

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Plus d’infos

Le livre
–> https://www.atd-quartmonde.fr/produit/quand-un-peuple-parle/

MRIE
–> http://mv02.mrie.org/lutte-contre-exclusion/la-mrie.asp

Bernard Devert
–> http://www.habitat-humanisme.org/national/bernard-devert

Emmanuel Gabellieri
–> https://fr.wikipedia.org/wiki/Emmanuel_Gabellieri

Bruno Tardieu
–> https://www.atd-quartmonde.fr/brunotardieu/

Une réflexion au sujet de « Philosophie, immobilier, mathématiques et pauvreté… »

  1. J’aimerais laisser une trace de quelques idées que j’ai comprises du message de Bruno Tardieu hier à la Part Dieu, et qui vont me rester:
    Edgar Morin : « On croit qu’on a des idées mais c’est les idées qui nous ont ». Souvent nos idées bloquent nos raisonnements, on n’aime pas les silences, on a envie de comprendre ce qu’on pense, du coup, on parle à la place des plus pauvres, on pense à leur place.

    Il faut que chacun se responsabilise, on ne peut pas continuer à faire une politique des uns pour les autres, on ne peut pas vivre ensemble sans penser ensemble.
    Et pour cela l’engagement de tous est nécessaire. Seuls les citoyens peuvent pousser à une refonte politique qui prenne en compte les personnes très pauvres.

    Un préjugé très répandu est de considérer la personne pauvre comme une personne dans le besoin, comme un demandeur. D’où une méfiance, ou une lassitude devant ce qu’on considère comme une demande constante. Et ne voir que le besoin empêche complètement la rencontre. En fait, ce que recherchent les personnes très pauvres, c’est la réciprocité, le contre-don. Or les médias, les grandes organisations, communiquent essentiellement sur ces manques, ces besoins, qui ne donnent pas envie de rencontrer les gens pauvres.
    ATD QM peut être un lieu de déconstruction des préjugés par la rencontre, et du coup de remise en cause de l’exclusion sociale.

    Voilà! A bientôt!

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