Réinventer le clavier français azerty ?

Le clavier français des ordinateurs, le fameux azerty, est à revoir complétement… C’est du moins ce que nous annonce le Ministère de la Culture.

L’argument est que l’on a du mal à poser les majuscules accentuées, ou que des caractères davantage utilisés aujourd’hui sont mal placés, comme l’arobase par exemple.

Pourquoi en parler ici ? Parce qu’indépendamment que le sujet peut concerner beaucoup de monde, il me semble que c’est un exemple intéressant de l’influence des autres sur chacun de nous… Cela rejoint la problématique de ce blog…Ce sujet m’amène à plusieurs réactions, fruit, entre autre, de mes 28 ans comme formateur en micro-informatique et comme éditeur de manuels et autres tutoriels.

Un outil contre-productif venu du passé

La nouveauté (relative d’ailleurs) de l’arobase sert de bouc émissaire. Ce clavier vient de la machine à écrire du siècle dernier. Et pour ceux qui n’étaient pas nés, les premières machines fonctionnaient avec des petits marteaux qui venaient frapper le papier.

 

MachineEcrire

Ici on voit l’ensemble des marteaux formant la zone plus sombre au milieu de l’image.
C’est une zone sombre car ces marteaux étaient serrés les uns contre les autres.

Taper sur le clavier, c’était envoyer le marteau du caractère correspondant s’élever et frapper le papier à travers le ruban encreur. Et si on tapait trop vite, les différents marteaux s’emmêlaient, la frappe était stoppée physiquement. Il fallait alors manuellement défaire le nœud de marteaux…

Pour ralentir le danger on a imaginé un clavier qui ralentirait la frappe ! Oui vous avez bien lu ! Le but était de nous ralentir… même s’il y avait par ailleurs des concours de vitesse de frappe (1)…

C’est comme cela que l’on a mis la lettre « a » totalement à gauche. Très utilisée dans la langue française on la faisait activer par le doigt généralement le plus faible, à savoir le petit doigt de la main gauche.

On a donc aujourd’hui des ordinateurs hyper rapides, qui continuent d’utiliser un clavier dont le but est de nous ralentir !!!

Un outil éminemment culturel

De la même façon, puisqu’il fallait ralentir la frappe, le clavier a été créé différemment dans chaque langue. En effet, l’usage de chaque lettre varie dans chaque langue…

À cela s’ajoute les caractères accentués, qui eux aussi, varient. Ici on connait le é ou le ç, ailleurs on connait le ã ou le ó… Ils ont été ou  non ajoutés directement sur le clavier…

Un outil anti-culturel

Faute de place, on a supprimé toutes les majuscules accentuées sur le clavier de la machine à écrire. À tel point qu’aujourd’hui, même certains enseignants sont convaincus qu’en français on n’accentue pas les majuscules ! La machine à écrire nous a fait oublié les règles d’orthographes que l’imprimerie de Gutenberg avait parfaitement continué à respecter !

Heureusement l’ordinateur sait depuis longtemps respecter notre langue et accentuer les majuscules. Mais ce n’est pas toujours facile, en particulier sur windows. Cela justifie donc la réaction ministérielle…

Et si vous pensez que ce n’est pas grave, essayez de savoir de qui parle un article dont le titre est : « MANIFESTATION DES INTERNES ».
Vous me dites qu’il s’agit des internes des hôpitaux, donc de médecins ?
Perdu, il s’agissait de prisonniers, internés !
Comme quoi… Un petit accent…

Un outil difficile pour le trans-culturel

Il ne s’agit pas seulement de penser à un clavier par langue : anglais, français,…
Lorsque j’intervenais chez un client à Montréal, je ne savais jamais à quel type de clavier j’allais avoir à faire. Le Québec est une île francophone dans un océan anglophone. L’informatique interne du client pouvait dépendre d’une maison mère d’une zone culturelle différente…

Résultat je pouvais me retrouver avec un clavier québécois, ou canadien français, ou anglais, voire parfois français de France. Bonjour les fautes de frappe !

Un outil figé dans les habitudes

Le ministère n’innove pas en voulant réinventer le clavier. Il y a déjà eu plusieurs tentatives, puisqu’il est évident que le clavier actuel est inadapté.

Je pense ainsi à August Dvorak qui inventa une autre configuration du clavier en … 1930 déjà !

Clavier français de Dvorak

Il l’imagina, entre autre, pour faciliter la frappe d’une seule main.

–> https://fr.wikipedia.org/wiki/Disposition_Dvorak

Résultat ? Personne ne l’a suivi !

Pas question pour les utilisateurs de changer leurs habitudes. Pas question pour les entreprises de former des milliers de salariés pour changer de clavier.

Même si cela se comprend, on retrouve ici une grande règle de l’informatique. Ce n’est pas ce qui est le meilleur qui gagne, c’est ce qui est utilisé par le plus grand nombre de personnes. On utilise le logiciel xyz parce que tout le monde utilise xyz. Point !

Lorsque j’étais journaliste dans une revue informatique, j’ai eu plusieurs fois en main des logiciels qui me semblait très intéressant, et nettement meilleurs que le leader actuel du marché. Et pourtant, certains n’ont même pas réussis à sortir publiquement, tués dans l’œuf, car personne ne croyait qu’ils feraient le poids.

Je ne sais pas jusqu’où ira le désir de changement de notre ministère. Mais il est à craindre que cela n’aille pas plus loin que les tentatives précédentes.

Une nouvelle norme internationale pour les caractères

Une difficulté propre aux ordinateurs et non à la machine à écrire, et le code des caractères. Les premiers appareils étant pensés surtout aux États-Unis, pays n’utilisant pas de caractères accentués, le code ASCII était limité à 128 caractères. Même s’il s’est étoffé avec le temps, avec la norme ASCII étendue (256 caractères) il restait trop faible, fasse à l’ensemble des langues et des caractères sur notre planète.

Or nous communiquons de plus en plus avec des « autres » qui utilisent des caractères différents ! On passe donc à l’Unicode, qui permet d’intégrer toutes les langues.

Michel Lansard

Notes
  1. Petit clin d’œil à Manon, qui fût ma première partenaire professionnelle lorsque j’ai créé Editomac à Montréal en 1987. Elle avait été championne du Québec en vitesse de frappe 😉
  2. Pour les nostalgiques ou les férus d’histoire :
    –> http://sciences.gloubik.info/spip.php?article1464
  3. Pour mieux comprendre ASCII et Unicode
    –> http://www.commentcamarche.net/contents/93-code-ascii

Une réflexion au sujet de « Un clavier français à réinventer »

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